Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Davy Tissot : « Il faut déjà se projeter : que pourra-t-on faire de nouveau ? » | Bocuse d'Or

Davy Tissot : « Il faut déjà se projeter : que pourra-t-on faire de nouveau ? »

Idées

Seulement quelques semaines après sa victoire, Davy Tissot intègre le jury Bocuse d’Or France le 23 novembre prochain à Reims. L'occasion d’échanger sur son goût du concours, sa vision internationale, le besoin de toujours garder du plaisir. Entretien au Refuge écullois, QG des entraînements.

EST-CE QUE VOUS VOUS REMETTEZ DE CE QUE VOUS AVEZ TRAVERSÉ ? LE TRAVAIL, LES ÉPREUVES ET LA VICTOIRE  ?

Je n'ai pas besoin de m'en remettre car j'ai eu un très bon accompagnement durant ces deux ans. J'ai été préparé à toutes les situations : comment réagir si pas de podium, si on est deuxième ou troisième et enfin si je finis premier. Mon état d'esprit était de me faire plaisir, d'aller chercher ces notions de plaisir et d'engagement. Ce sont des mots qui ont été porteurs pour aller jusqu'à la victoire. Je ne réalise toujours pas, mais je n'ai pas de fatigue, la victoire contribue à l'euphorie. Je n'ai pas envie d'atterrir, je veux le partager à un maximum de gens et pas forcément de la profession. Il y a des jeunes qui me croisent dans la rue, qui demandent des photos et on me dit « vous avez ramené la Coupe du monde » !

C'ÉTAIT UNE ÉDITION PARTICULIÈRE, QUI EST ARRIVÉE APRES TOUT CE QUE NOUS AVONS TRAVERSÉ, LA VISITE DU PRÉSIDENT, UN COUP DE PROJECTEUR PARTICULIER... COMMENT ÊTES-VOUS PARVENU À GARDER CETTE NOTION DE PLAISIR DANS LA CUISINE ? 

Je n'ai pas cherché à garder cette notion, je me suis préparé. Je me souviens, le 26 septembre je suis présent au Dîner des Grands Chefs, c'était important d'être là, mais plusieurs chefs me disaient  « Rentre, va te coucher », mais je savais que je me sentais bien. Le 24 septembre, je faisais alors mon dernier  « blanc », il m'a permis de rassurer les troupes, on était prêts. À partir de cet instant, on se met dans sa bulle, le travail d'équipe apporte aussi cette sérénité, car j'ai toute confiance en eux. Pendant deux, trois mois, on s'est couché tôt, on s'est levé tôt, pour avoir le rythme du Jour-J. Mais pour la petite histoire, à 8 h 39, l'heure où j'ai entamé ma journée de concours, j'ai eu, comme un trou noir. J'ai dit à mon coach : « Qu'est-ce que je dois faire déjà ? » et c'est comme s'il avait appuyé sur un bouton et c'était parti pour 5 h 30. J'ai conservé cette bulle jusqu'à 2 h 30 le lendemain, jusqu'à mon coucher. 

VOUS UTILISEZ TOUJOURS CETTE ÉNERGIE, CETTE ENVIE DE NE PAS REDESCENDRE ?

Oui, je pense que c'est important. Monsieur Paul est revenu à la maison et ma plus grande fierté était que ce soit un Lyonnais qui l'emporte : je pense que cela n'aurait pas été la même victoire si cela avait été un chef d'une autre région. Le trophée n'était pas revenu en France depuis huit ans et je pense que, nous, l'équipe, avions ce devoir de toujours faire briller cette gastronomie française sur notre territoire bien sûr, mais aussi à l'international. Ce rayonnement faisait quelque part, partie du planning (sourire). 

UNE AUTRE DIMENSION, IL Y A EU UNE ORGANISATION DANS L'ORGANISATION... VOUS AVEZ EU UN PAS D'AVANCE AVEC CE QR CODE QUI DÉVOILAIT LE MENU PENDANT LA COMPÉTITION, IL Y A UNE VOLONTÉ DE DÉPOUSSIÉRER LE CONCOURS ? 

Je ne veux pas dire « dépoussiérer », car on a utilisé nos bases traditionnelles, tous mes plats viennent de l'Escoffier, c'était très important pour moi. Mais le travail de la boîte (épreuve du menu à emporter, ndlr), a été fait autour de la 3D, de l'utilisation de nouveaux matériaux. On ne voulait pas d'un plateau plat en bois, mais on a utilisé du fil de maïs, on a utilisé de la colle de poisson comme en marqueterie, des peintures composées de charbon et de curcuma... On a voulu donner du mouvement à la couleur également. Et enfin, le QR code. Il fallait que la France se démarque, car je l'ai souvent entendu : « La France, vous êtes ringards », du coup, on a travaillé sur ce que l'on voulait dévoiler du menu une semaine avant, on a beaucoup réfléchi. On a utilisé l'espace-temps Covid, on l'a transformé en positif et on a réfléchi : comment garder notre savoir-faire français, comment le faire évoluer. Il faut déjà commencer à se projeter : que pourra-t-on faire de nouveau ? C'est un message que j'aimerais faire passer. Il faut arriver à se remettre en question. 

VOUS AVEZ ÉTÉ L'UN DES RARES CANDIDATS À FÉMINISER VOTRE ÉQUIPE, AVEC NAIS PIROLLET POUR LA RECHERCHE ET LE DÉVELOPPEMENT DES RECETTES, C'ÉTAIT NATUREL 

C'était naturel et il faut que cela le soit. J'ai beaucoup voyagé, que ce soit en Amérique du Sud, au Portugal, en Espagne, ce sont des femmes aux fourneaux, aux postes de cheffes. À Lyon, on a eu les mères lyonnaises, pour moi, tout cela est naturel. Cela ne doit pas être combat, mais une normalité, je ne fais pas de différence entre chef(fe)s, c'est UN candidat. Cela ne m'intéresse pas, sa compétence m'intéresse. Il y aura potentiellement quelque chose de féminin, si on peut l'appeler ce sixième sens, que nous avons aussi quelque part, mais qu'elles arrivent à développer, c'est ce qui peut faire la différence.

LES CONCOURS SONT SOUVENT TRÈS MASCULINS, EST-CE QUE CELA VOUS A POUSSÉ À LA RÉFLEXION ?

Forcément on y pense. Moi j'encourage les femmes à y aller et à ne pas se mettre de barrière. Nous sommes tous doués, nous avons tous des capacités, comment ai-je envie de retranscrire quelque chose à travers ce concours-ci ? Je pense qu'il faut que l'on ouvre les choses, qu'on les pousse et qu'on les accompagne, peut-être. Mais en même temps, elles ont toutes les capacités pour, elles n'ont pas besoin de nous. 

UN PETIT MOT POUR REIMS, CEUX QUI VONT VOUS ACCOMPAGNER ÉGALEMENT DURANT CE BOCUSE D'OR ?

Heureux de me rendre à Reims et que la sélection française bouge aussi, c'est une bonne initiative de se promener en région, dans ce terroir, notre propre terroir, c'est une grande richesse. Les produits, les talents, tout le monde a sa cuisine propre, c'est important que le Bocuse d'Or bouge. Je vais évidemment retrouver les chefs tels qu'Arnaud Lallement, Philippe Mille... J'ai également vu des noms de jurés et je trouve que cette ouverture sur d'autres cuisines qui ne sont pas forcément des cuisines de concours est importante. Personnellement, une grande partie de mon ADN vient de la cuisine de concours, mais ce qui m'intéressait était d'aller chercher des chefs qui ne viennent pas de là. Le conseil que j'estime nécessaire, c'est de toujours aller chercher l'opposé de ce que l'on est, pour s'enrichir. On ne trouve pas de richesse si on tend toujours vers la facilité, vers des personnes qui vous ressemblent. C'est pourquoi je trouve qu'il est important de faire voyager ce concours, de renouveler les jurys... Encore une fois, la prochaine étape du concours sera de se confronter à l'international. Le concours France doit déjà basculer vers l'international et sortir du franco-français : avoir ce jury de palais différents, ces visions différentes, c'est une bonne initiative. 

QUELLE EST LA PETITE MUSIQUE D'ENTRAÎNEMENT DE DAVY TISSOT, LA RECETTE SECRÈTE ? 

J'étais en Ukraine récemment pour le concours, on m'a posé la même question... J'ai répondu : « Gardez votre identité ». Garder l'identité du pays est important, il faut la faire évoluer, car le terrain de jeu en l'occurrence n'est plus la France, mais le monde entier. On peut reprendre la charte des Meilleurs Ouvriers de France : le passé est important, le présent l'est, mais le futur est important. Ces trois choses-là doivent faire le futur candidat, mais c'est global, à tous les corps de métiers, je crois. Il faut voir loin, et jouer sur ce terrain de jeu qu'est le monde. 

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Propos recueillis par Hannah Benayoun
© Julien Bouvier

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